Fabienne BOUCANSAUD, fille de 'petits patrons' décolleteurs de Scionzier
Médiathèque (photothèque, sonothèque, vidéothèque)
Identifier:
150526_clu_bia_g_002
Description
l'objet représentatif qu'a choisi Fabienne BOUCANSAUD est cette petite boite qui contient encore des pièces fabriquées à l'heure de la pluriactivité, destinées à l'industrie horlogère.
«Mon père est devenu décolleteur parce que c'était l'activité naissante et grandissante, et puis parce que c'était facile à monter à l'époque. Ses parents, comme beaucoup de familles d'agriculteurs et d'éleveurs de Scionzier, avaient commencé à faire des travaux de décolletage avec de toutes petites machines, des tous petits usinages, en activité annexe de la ferme. Et l'activité se développant, l'élevage a été mis de côté au profit de cette activité là.
Les deux fils de mon grand-père, mon père et mon oncle, ont monté chacun leur entreprise. Avec d'un côté mon oncle qui a réussi au fil du temps à avoir une grande entreprise, et mon père qui est resté dans son entreprise familiale composée de 3 éléments : mon père, ma mère, et un ouvrier qui s'appelait Djaleb.
Papa n'est pas allé trop à l'école : il apprend sur le tas, il n'a pas de formation théorique du métier. Ma maman - c'est le schéma classique des entreprises familiales de décolletage - s'occupe du bureau et de la reprise. A l'époque ça va de soi, on ne se pose pas la question, il n'y a pas de statut de conjoint collaborateur....ce sont des gens qui à l'heure actuelle ont 3 euros de retraite.
Papa fait l'acquisition d'une maison avec des locaux au rez-de-chaussée dans lequel il installe son atelier; à l'étage il y a l'habitation. Lorsque les machines tournent on entend le bruit et les vibrations à l'étage. Il travaille de 6h30 à12h00 et de 13h30 à 18h30, du lundi au samedi, le samedi étant le jour d'effervescence et de stress maximum. C'est le jour des expéditions: en fin de semaine, la production hebdomadaire part dans des camions, ce qu'on appelle la ramasse...les transporteurs passent avec les camions dans toutes les usines et ils ramassent les caisses...ils sont très pressés et jouent la montre. Évidemment tous les décolleteurs sont en retard...les dernières pièces fument dans les caisses. Je revois papa agrafer et fermer les caisses, et maman coller les adresses à toute vitesse.... Et puis, le dimanche pour maman, c'est la journée de lessive: nettoyage des bleus de travail sur une planche à lessive à la main dans la salle de bain ; les frotter à la brosse, surtout pas les laver à la machine parce que l'huile encrasse la machine et que, s'il reste des limailles dans le tissu, quand ça tourne ça le déchire....ça c'était le dimanche de maman.
Très jeune, le mercredi après-midi, on se faisait quelques séries de pièces : emboutir les pièces, les visser, les coller... Dans toutes les cuisines il y a une petite machine d'emboutissage. Et puis très tôt, et de cela on était très fiers car on se faisait un peu d'argent, on allait à l'usine au mois de juillet. C'était facile, il y avait du boulot partout. Parce qu'en plus, dans le rythme de la vie de la vallée et des décolleteurs, il y avait un moment clé : la fermeture de toutes les entreprises et activités annexes pour le 31 juillet. Donc pour cette date, il fallait que toutes les commandes soient soldées dans toute la vallée de l'Arve. Beaucoup d'entreprises étaient et retard et employaient des gens comme nous.
Suis-je fière de tout ça ? Cela avait l'air d'être une évidence de monter une petite entreprise...Je suis fière de mes parents en tant que personnes, mais pas fière du décolletage en tant que milieu: parce que j'ai surtout vu mes parents galérer avec des fins de mois très difficiles. Il y avait d'un côté mon oncle avec une certaine aisance financière qui avait monté une entreprise avec 10-20 ouvriers, et les tous petits comme mon père, qui étaient en proie aux impayés.
Il y avait par contre la fierté de faire la belle pièce»...
Enregistrement issu de l'enquête et l'exposition « Portraits du décolletage » de Caroline HOUAL
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